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La musique classique dans The End is Nigh
The End is Nigh est un jeu génial, et sa musique contribue au plaisir qu’il procure. Elle a été composée par le musicien américain Ridiculon, ayant déjà travaillé avec la team Meat sur les rééditions de leurs jeux emblématiques, après le départ du compositeur original Danny Baranowsky. Pour The End is Nigh, le choix est fait d’utiliser des morceaux célèbres de musique classique de la fin du XIXe, ce qui n’est jamais une mauvaise idée selon moi. Ces morceaux sont ré-interprétés par Ridiculon dans un style à mi-chemin entre le rock, l’électro, et la chiptune. Le résultat est très efficace, accompagne le joueur avec bonheur, et ne manque pas de le motiver face aux rudes challenges du jeu. Et de la motivation, il en faut !
La bande originale est écoutable gratuitement sur la page bandcamp de l’auteur, et elle est aussi à la vente, pour ceux qui souhaitent le soutenir. Si vous ne la connaissez pas déjà, foncez ! Par curiosité, je me suis mis à écouter ou ré-écouter les œuvres originales reprises par Ridiculon, et de fil en aiguille, à me renseigner sur leurs origines. Dans cet article, je vous propose de revenir sur quelques-uns de ces morceaux, qu’on a tous déjà entendus, mais sans forcément connaître leur sens. Parce que c’est aussi ça le rôle du dojo : élargir ta culture.
En 1874, le compositeur français Camille Saint-Saëns adapte en musique symphonique un poème d’Henri Cazalis. Ce poème raconte l’histoire de la Mort qui ressuscite les défunts, le temps d’une danse. Comme son Carnaval des Animaux plus tard, La Danse Macabre de Saint-Saëns est une œuvre de musique figurative, c’est-à-dire qui raconte une histoire. Ainsi, chaque passage ou instrument symbolise un personnage ou un événement de l’histoire. Le morceau débute par les 12 coups de minuit joués par la harpe, les violoncelles simulent la Mort qui tape le sol de ses talons pour réveiller les cadavres, le xylophone représente les os des squelettes, etc. Pour marquer le début de sa danse, la Mort utilise un gros accord Diabolus in Musica bien bourrin. Cet accord a une histoire intéressante : c’est une quinte diminuée particulièrement dissonante, à tel point qu’il a autrefois été considéré comme diabolique (d’où son nom), et interdit par l’église. D’ailleurs, dans sa série Kaamelott, Alexandre Astier a consacré un épisode entier, qu’il faut absolument revoir, à cette problématique. De toute façon, il faut toujours revoir Kaamelott.
[…]
(Père Blaise) – Mais vous êtes des malades ! Je vous préviens. Si on n’mets pas le holà tout de suite, dans dix ans tout le répertoire musical est pollué.
(Bohort) – Il faut plutôt voir ça comme une évolution.
(Père Blaise) – Il faut interdire les intervalles non justes, c’est tout !
(Bohort) – Sire, qu’est-ce que vous en pensez ?
(Arthur) – Ben… moi, pour commencer, j’en ai pas grand chose à carrer. Sinon, moi, toujours des quartes, des quintes, des octaves, ça a un peu tendance à me glonfler d’autant que je supporte très bien les tierces et renversements de tierces et j’vais même dire, un petit intervalle diminué de temps en temps…
(Père Blaise) – Diminué, mais qu’est-ce que c’est que cette horreur ?
(Arthur) – Bohort, une pédale ? Enfin, j’veux dire…
(Bohort) – Y a pas d’mal.
(Ensemble) – Oh…
(Père Blaise) – DIABOLUS !
La danse des morts, voilà un thème parfaitement approprié à The End is Nigh ! Dans la version de Ridiculon, l’intro avec l’arrivée de la Mort est zappée, pour commencer directement par l’accord Diabolus.
Avec Une Nuit sur le Mont Chauve, par le compositeur russe Modeste Moussorgski, on se situe dans le même registre que La Danse Macabre : il s’agit aussi d’un poème symphonique, inspiré par une nouvelle de Nicolas Gogol : La Nuit de la Saint-Jean. Mais cette fois, on n’est pas là pour danser avec les morts. Ça rigole plus. Ça parle du sabbat des sorcières, qui se rassemblent sur le Mont Chauve la nuit de la St-Jean, pour effectuer des rites sataniques, et accueillir leur idole : Satan en personne.
Personnellement, j’ai connu ce morceau grâce à Disney, qui l’a utilisé en 1940 dans Fantasia (mélangé avec l’Ave Maria de Schubert). C’est le cas de beaucoup de monde, je suppose. Quand je l’écoute, j’ai donc les images du dessin animé qui me viennent en tête tout de suite, avec ce Satan assez impressionnant. Je garde un attachement particulier à ce morceau pour ces raisons.
Il faut bien avouer que le thème et le côté angoissant du morceau colle plutôt bien avec l’ambiance de The End is Nigh.
1er mouvement : Adagio – Allegro molto
2ème mouvement : Largo
3ème mouvement : Scherzo : Molto vivace
4éme mouvement : Allegro con fuoco
La 9e symphonie du compositeur tchèque Antonín Dvořák (prononcer « Dvorjak »), dite « du Nouveau Monde », c’est un peu son chant du cygne. Il s’agit de sa dernière symphonie, et son énorme succès va assurer la notoriété du musicien, déjà célèbre par ailleurs grâce à ses œuvres précédentes. C’est un peu comme Beethoven, avec sa 9e symphonie à lui. Dvořák l’a composée lors de ses voyages en Amérique, d’où son qualificatif « du Nouveau Monde ». Pour cela, il s’est inspiré des paysages américains grandioses, ainsi que de certaines traditions amérindiennes. Ainsi, on trouve dans la 9e symphonie de Dvořák des thèmes puissants et majestueux, mais aussi d’autres plus intimistes et nostalgiques.
De toute façon y’a pas à tortiller, la 9e symphonie de Dvořák, c’est une machine à tubes. Elle est composée de 4 mouvements, chacun d’entre eux comportant plusieurs thèmes. Quasiment tous sont ultra connus, et repris dans d’innombrables œuvres culturelles, du dessin animé Cobra au jeu vidéo Mother 2. Pour revenir à The End is Nigh, Ridiculon a ré-interprété à sa sauce un petit extrait du premier mouvement, qui se rapproche d’une polka, à l’origine. Ça commence vers 3:00 dans le lecteur ci-dessus. Je crois que ce morceau est mon préféré de tout le jeu. Ce sont des tout petits passages à l’échelle de la symphonie, que Ridiculon a su réassembler de manière à en faire un morceau qui fonctionne très bien à part.
En voilà un autre morceau qu’on entend partout, sans pour autant en connaître l’origine ! En tout cas, pour ma part. Je pensais que c’était simplement le générique de la série TV des années 60 Le Frelon Vert, avec Bruce Lee. Thème réutilisé entre autres par Tarantino dans Kill Bill.
C’est vrai, mais l’origine du morceau est plus ancienne. En fait, il s’agit de l’interlude d’un opéra russe, composé par Nikolai Rimski-Korsakov en 1899 : Le Conte du tsar Saltan. Cet opéra est lui-même adapté d’un poème d’Alexandre Pouchkine. D’ailleurs, Korsakov l’a composé à l’occasion du centenaire du poète.
En gros, ça raconte l’histoire fantastique de Guidon, fils du Tsar. À la suite d’une machination, alors qu’il est enfant, le prince est enfermé dans un tonneau avec sa mère et jeté à la mer. Il se retrouve sur une île, où il rencontre un cygne magique, qui s’avère être une princesse (spoiler alert). Plus tard, alors qu’il est devenu adulte, Guidon regrette sa terre natale et voudrait connaître son père. Il demande au cygne magique de le transformer en bourdon, pour qu’il puisse s’envoler et le rejoindre. C’est là, au début de l’acte III, qu’intervient le fameux morceau. Il symbolise évidemment le vol de l’insecte. Ironiquement, l’interlude est devenu plus célèbre que l’opéra dont il fait partie.
Avec son rythme effréné hyper rapide, ses chromatismes et ses double-croches ininterrompues, Le Vol du Bourdon représente un vrai défi pour les musiciens. Une difficulté d’exécution qui rappelle le challenge bien corsé de The End is Nigh.
Le compositeur russe Tchaïkovski crée cette ouverture en 1880, pour commémorer la victoire de son pays face aux armées napoléoniennes. Cette fois, on est donc dans un registre très militaire. Les différentes parties du morceau évoquent alternativement l’avancée de l’armée française, avec des passages de La Marseillaise, puis russe, avec des chants militaires ou populaire du pays. Pour le final, il fallait marquer le coup afin de rendre un hommage explosif à la victoire russe. Et comment dire… Tchaïkovski, c’est quand même un bon gros bourrin parfois : il décide d’utiliser des canons. Oui oui, des vrais canons, comme pour la guerre. DES PUTAINS DE CANONS QUI TIRENT VRAIMENT. À blanc certes, mais quand même, des canons comme instrument de musique. Ça devait faire un peu de bruit, à côté de l’orchestre. Ici, une représentation en plein air avec les canons, par l’armée japonaise :
Dans The End is Nigh, Ridiculon utilise un petit passage de l’ouverture, qui n’est pas le thème le plus connu de l’œuvre.
Encore aujourd’hui, je garde un attachement particulier aux danses hongroise de Brahms car mon père, amateur de musique classique, nous les faisait souvent écouter. En tant que gamins, on a donc pas mal déliré dessus. Il faut dire que les rythmes changeants du morceau y sont assez propices. En fait, Brahms était un passionné de musique tzigane, en particulier d’origine hongroise. Il a donc retranscrit 21 danses issues de ce folklore, que l’on appelle les danses hongroises. D’ailleurs, elles n’ont pas du numéro d’opus (système permettant d’identifier les œuvres de musique classique), car ce ne sont pas des créations originales.
La plus connue est sans doute la 5e. Elle a été utilisée dans de nombreuses œuvres culturelles au cours du temps, notamment Le Dictateur de Chaplin. C’est aussi celle qui est reprise dans The End is Nigh, dans une version plus énervée.
Un autre morceau avec des origines similaires a été repris dans The End is Nigh : une des 19 Rhapsodies hongroise, de Franz Liszt cette fois. Comme les danses de Brahms, elle est inspirée du folklore hongrois, et plus particulièrement de la musique gitane.
Dans les années 1870, le compositeur italien Giuseppe Verdi avait déjà connu le succès grâce à ses opéras, et voudrait bien conclure sa carrière par un truc qui déboîte, histoire de bien marquer les mémoires. Et quoi de mieux qu’un petit requiem pour ça, c’est-à-dire une messe pour les défunts, dans la tradition catholique. Ça tombe bien, car il y a justement une commande qui vient d’être passée auprès de plusieurs compositeurs, pour écrire un requiem à la mémoire de Gioachino Rossini, mort peu de temps plus tôt. Verdi en écrit une partie, mais elle ne sera pas retenue. Finalement, c’est en 1874 pour l’anniversaire de la mort d’Alessandro Manzoni, que Verdi écrit son requiem en entier, et connaîtra un énorme succès.
En tant que chant grégorien, le Requiem de Verdi répond à une structure bien codifiée. Parmi les différentes parties de l’œuvre, la plus célèbre est sans aucun doute le Dies Irae (« jour de colère »). En général, c’est cette partie qui vient à l’esprit quand on évoque le Requiem de Verdi. Par son côté puissant et épique, elle a été beaucoup reprise, au cinéma notamment : Mad Max Fury Road, Django Unchained, Battle Royale, etc. Sans surprise, c’est aussi le passage utilisé dans The End is Nigh. On peut dire que les thèmes collent bien, car un Dies Irae parle de l’apocalypse.
À partir de 1:24 :
La Symphonie de Dante (ou « Dante-Symphonie ») a été écrite par le compositeur hongrois Franz Liszt, d’après la Divine Comédie de Dante Alighieri. Ce poème médiéval décrit la traversée de l’enfer et du purgatoire, qui correspondent aux deux parties de la symphonie. Encore une fois, on n’est pas vraiment dans le monde des bisounours. The End is Nigh reprend un extrait de l’Enfer. La traversée de Dante peut être assimilée à celle du joueur, qui souffre parfois beaucoup pour progresser. Demandez à Mecton !
L’extrait de The End is Nigh commence à 2:40 environ :
Encore un thème archi connu qu’on entend absolument partout ! À l’origine, c’est la musique de la pièce de théâtre norvégienne Peer Gynt, composée par Edvard Grieg en 1874. Entre comédie et satire sociale, cette pièce raconte les aventures de Peer Gynt donc, anti-héros en recherche d’identité, qui se retrouve dans un monde fantastique peuplé de gnomes, trolls et démons.
Le thème bien connu Dans l’antre du roi de la montagne commence tout doucement, évoquant les pas de loup de Peer Gynt, qui ne veut pas se faire remarquer par les créatures tout autour de lui. Puis, progressivement, les pas et la musique s’accélèrent, pour finir en une fuite folle.
Gnosienne n°1 :
Gymnopédie n°1 :
Deux morceaux du compositeur français Erik Satie ont été utilisés dans The End is Nigh. Tout d’abord, la Gnossienne n°1 accueille le joueur dès l’écran titre. Les Gnossiennes sont une oeuvre en six parties, écrites entre 1890 et 1897. Le nom « Gnossienne » est une invention d’Erik Satie. Ben oui, vous comprenez, sa musique était tellement exceptionnelle qu’il fallait un nouveau mot pour la nommer. Ce mot vient du concept philosophico-religieux-ésotérique de gnose. À l’époque, Satie était impliqué dans différentes sectes gnostiques. Il avait même créé sa propre église, l’Eglise métropolitaine d’art de Jésus-Conducteur, dont il était le grand-prêtre et le seul fidèle (lol) !
L’autre morceau est la première Gymnopédie. Là encore, il s’agit d’une oeuvre en trois parties, avec un nom atypique, publiée en 1888. « Gymnopédie » vient d’une danse traditionnelle antique, pratiquée à Sparte par des gens tout nus. La Gymnopédie n°1 est le morceau le plus connu de Satie. Son style très lent et éthéré fait qu’il est parfois considéré comme le précurseur de l’ambient. Personnellement, je le trouve en effet reposant et très agréable à l’écoute. En tout cas, il tranche radicalement avec le côté noir et vénère du reste de la sélection, ce qui le fait ressortir d’autant plus pendant le jeu.
Voilà, j’espère que vous avez appris des trucs avec cet article. En tout cas moi oui, donc c’est déjà ça de pris. À plus pour le prochain.
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