La boucle de gameplay est simple et cool. Vais faire un test COVID pour clarifier cette perte de goût
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Les Archives de Cranky – Baten Kaitos : Les ailes éternelles et l’océan perdu
Vous le savez, il sortira tout bientôt une compilation des deux jeux Baten Kaitos en version re-maestroïsée, sobrement intitulée Baten Kaitos I & II HD Remaster. En tout cas, maintenant vous le savez. C’est donc pour votre serviteur l’occasion de vous parler un peu de ces deux J-RPG cultes de la GameCube, mais pourtant relativement confidentiels.
C’est développé par Monolith Soft, des anciens de Square principalement responsables de la série Xeno, et renfort de développement pour Nintendo, et tri-Crescendo, fondé par un ancien programmeur son du studio tri-Ace (Star Ocean, Valkyrie Profile), Hiroya Hatsushiba. Tout ce petit monde est édité par Namco, et aujourd’hui, on va causer d’un gros morceau, Baten Kaitos : Les ailes éternelles et l’océan perdu, le premier épisode de cette duologie.
Baten Kaitos, c’est avant un univers merveilleux, digne d’une fable : il y a un millier d’années, un dieu maléfique du nom de Malpercio a voulu faire du monde le sien, comme tout dieu maléfique qui se respecte un peu. Visiblement, il n’a pas dit « s’il vous plaît », du coup, ni une, ni deux, d’antiques magiciens l’ont scellé, au prix d’une guerre qui ravagea la surface de la terre.
Le monde étant devenu inhabitable à cause d’un épais brouillard nocif, les humains n’eurent d’autre choix que de trouver refuge dans le ciel, sur les continents volants :
La direction artistique du jeu met superbement en valeur les différences de ces pays célestes, et le fait d’avoir opté pour un rendu en 3D précalculée, à la manière des Final Fantasy sur PlayStation, a permis aux concepteurs des lieux de se permettre toutes les fantaisies possibles sans se soucier des limitations techniques de la GameCube. Ainsi, lors de vos pérégrination, vous visiterez une rivière nébuleuse perdue dans le ciel étoilé, un village à l’apparence d’un livre d’images, ou encore une cité entièrement sculptée dans la glace. Encore aujourd’hui, la richesse et l’originalité visuelle de Baten Kaitos n’ont rien à envier aux productions actuelles, et il s’en dégage une extraordinaire féérie, portée par les compositions de Motoi Sakuraba (les Tales of, Golden Sun, Valkyrie Profile, rien que ça). C’est bien simple, depuis qu’il a signé sa meilleure bande originale pour ce jeu, je lui envoie régulièrement des lettres d’amour, avec des sous-vêtements usagés glissés dedans, auxquelles il refuse encore de répondre. Entre la beauté mystique de Soul Poetry, le synthé punchy de The True Mirror dont on ne se lasse pas même après la millième écoute, l’étrangeté dissonante de House of Cards, et la sérénité bucolique de Gentle Wind, le jeu ne manquera pas de charmer vos oreilles. Ça n’empêchera malheureusement pas quelques répétitions, inévitables dans un jeu à la durée de vie supérieure à cinquante heures. Mais en un mot comme en mille, rien est à jeter du côté artistique, Baten Kaitos est un sans-faute.
Côté scénario, c’est une autre pointure qui s’y colle, Masato Kato, qui a écrit Chrono Trigger, Radical Dreamers, et Chrono Cross, en plus d’avoir participé à Final Fantasy VII et Xenogears…. Et aussi Princess Maker 2, tiens. J’imagine que son scénar déchire. L’histoire de Baten Kaitos, classique dans les grandes lignes, a déroulement qui rappelle beaucoup celui de Chrono Trigger : chaque continent céleste verra le groupe de personnages jouables accueillir (au moins) un nouvel arrivant qui nous dévoile un peu de son passé, pour être plus approfondi dans le dernier tiers du jeu, par le biais d’une quête consacrée. Si parfois le récit s’enchaîne de façon lunaire, il propose des twists intéressants et une profondeur inattendue. Le jeu a la mauvaise idée de traîner un peu en longueur avant de boucler le tout, mais il se dégage malgré cela une candeur touchante du scénario de Baten Kaitos, qui est porté par des personnages globalement bien écrits. Certains d’entre eux vont beaucoup évoluer au fil de l’aventure, comme Kalas, le personnage principal, d’autres ne bougeront pas d’un iota, comme Gibari, le pêcheur de Diadem et référent moral dans le groupe des héros. D’autres encore verront bien des malheurs mettre à l’épreuve leurs valeurs, comme Lyude, ambassadeur d’Alfard, quand certains ont un mystérieux passé qui se dévoilera tardivement, comme Xelha et Savyna. Vous allez également adorer détester Giacomo, Ayme et Folon, un trio de vilains récurrents qui vous offriront également les combats les plus ardus du jeu. Vous, dans cette histoire, serez un personnage à part entière, sous la forme d’un « ange gardien », un esprit protecteur d’outre-monde logeant dans l’esprit de Kalas. Si votre avatar n’a pas beaucoup de répliques (elles consistent essentiellement en quelques choix sans grandes conséquences à certains moments de l’intrigue), les personnages s’adressent directement à vous, et jusqu’à la toute fin du jeu, vous avez de l’importance, sans pour autant empiéter trop sur la narration, contrairement aux avatars des Fire Emblem récents, qui font plus de mal que de bien au récit. En somme, vous êtes le héros muet des J-RPG classiques, sans incarnation physique dans le jeu, tandis que Kalas et Xelha assurent les vrais premiers rôles.
Les Magnus, des cartes enchantées pouvant capturer l’essence des choses (armement, objets, nourriture, et quelques abstractions telles que des conversations, une enquête non-résolue…), sont au cœur du jeu : nos héros sont à la poursuite de Magnus ultimes détenant un grand pouvoir, utilisent des « Magnus de quête » permettant de prendre et réutiliser des certains éléments du décor pour se frayer un chemin et résoudre des énigmes. Les objets détenus par les Magnus évoluent au fil du temps : le lait devient fromage, puis moisissure, les pièces de monnaie quelconques prennent de la valeur, le bois donne de la sève, qui se fossilise en ambre, les fleurs fanent ou se dessèchent… Et le feu tricolore alterne entre ses trois couleurs (sans déconner, le nombre de Magnus complètement décalés par rapport à l’univers du jeu est invraisemblable : y’a un Magnus « Contrat de divorce » ! Et le pire, c’est qu’il est utilisable dans un combo avec un Magnus de sylo plume pour créer un Magnus de pot de vin ! ). Mais surtout, surtout, les Magnus servent à la marave.
Vous le savez, dans les J-RPG old school, quand on lit pas des dialogues, quand on fait pas du min-maxing ou de quêtes secondaires, on se bat. C’est même souvent la moitié du jeu, la bagarre. De ce côté, Baten Kaitos : Les ailes éternelles et l’océan perdu c’est trop long bordel le jeu propose un système de combat pour le moins original : plutôt qu’avoir un menu classique avec des actions à sélectionner, Baten Kaitos le remplace avec ses Magnus, qui vous permettront de réaliser des actions basiques comme attaquer, se défendre et se soigner selon la carte et le contexte. Concrètement, chaque personnage a sa propre pioche dans laquelle il tirera sa main en combat. Les Magnus disponibles dans la pioche sont divisés en trois grandes catégories : les Magnus d’attaque, qui contiennent l’essence de divers armes et sortilèges, les Magnus de défense, renfermant des protections, et les Magnus d’objets, comprenant une foultitude de choses plus ou moins utiles, comme la nourriture aux effets curatifs, divers objets utilisables dans des combos spéciaux (on va y revenir) ou d’autres complètement inutiles (comme ce foutu feu tricolore). Tous les Magnus utilisables en combat ont ce que le jeu appelle des « nombres spirituels », c’est-à-dire des chiffres en coin allant de 1 à 9, sélectionnables en poussant le stick C dans leur direction. Ils constituent tout le sel du système de combat.
En effet, lors de son tour, chaque personnage pourra utiliser plusieurs cartes pour attaquer l’adversaire ou bien se soigner, et le résultat de ces actions peut-être grandement amélioré par un bonus si vous prenez soin d’utiliser les cartes en faisant des paires ou des suites : pour vous donner une idée, faire un brelan (trois cartes de même valeur) octroie un bonus de 21% sur la somme des dégâts infligés/soins apportés, tandis qu’un carré (quatre cartes de même valeur) est synonyme d’un bonus de 33%, soit un tiers de plus ! Plus encore que les paires, les suites octroient des plus-values encore plus mirobolantes : pour une simple suite de quatre chiffres, le bonus s’élève 45%, tandis qu’une suite « Lever de soleil », c’est-à-dire de 1 jusqu’à 9, augmente d’un obscène 306% le résultat de votre phase d’attaque ou de soin. Ce principe de bonus s’applique également en défense, où il est certes moins important, mais reste néanmoins un bon coup de pouce pour éviter la déroute face à un boss. Avec un tel fonctionnement, la manière dont Baten Kaitos calcule les dégâts change un peu de ce dont on a l’habitude : comme je l’ai dit plus haut, le jeu fait la somme des dommages à la fin de votre enchaînement de cartes, ce qui a son importance quand les éléments entrent en compte. Les éléments fonctionnent par paires opposées, ce qui fait qu’utiliser une arme de glace puis une arme de feu dans une même phase nuira à leur efficacité ! Le jeu propose d’ailleurs, en option, un tableau s’affichant à la fin de chaque phase pour bien apprendre et comprendre ce système de combat pour le moins atypique.
Les combos spéciaux, ou « combo SP », sont des combinaisons de Magnus qui permettent d’en créer un nouveau gratuitement, que vous pourrez récupérer en guise de butin à la fin du combat. Tous les Magnus (sans exception) ont une description, et parfois, vous pourrez lire des bizarreries du style « si on verse un peu de miel sur du fromage, ça lui donne un goût de marrons » : vous savez ce qu’il vous reste à faire pour avoir le Magnus de soin « Marrons » ! Certains de ces combos sont particulièrement obscurs, comme une suite de fruits à utiliser pour obtenir un Magnus de Pac-Man ( ! ), d’autres sont clairement explicites. Il s’agit en tout cas d’une mécanique qui récompense le joueur curieux de cartes puissantes pour peu qu’il ait les « ingrédients » nécessaires. Et si vous pensez que c’est un peu trop fort de créer à partir de pas grand chose des Magnus tétra-balèzes, eh bien le jeu est étonnamment bien dosé sur ce point, ne vous donnant accès à certaines cartes cruciales pour les combos puissants que tard dans l’aventure. La transformation des Magnus dans le temps finit d’équilibrer le tout : les objets de soin les plus efficaces sont très rarement immuables, de même que les Magnus nécessaires pour les créer.
Malheureusement, tout n’est pas rose dans le monde des îles flottantes, et ce système de combat n’est pas exempt de défaut. Déjà, les affrontements ont tendance à traîner en longueur, la faute à des animations un peu molles. Ensuite, si la mécanique de paire/suite est intéressante sur le papier, quelques points nuisent à son application pratique. Chacun de vos personnages a sa propre pioche, et, à l’exception de deux d’entre eux, utilise un ensemble de Magnus d’attaque qui lui sont exclusifs. Donc on a six personnages possédant une pioche allant de 20 cartes en début de jeu et 60 à la fin, que vous allez composer au moins d’une moitié de cartes offensives. Bien sûr, les Magnus deviennent de plus en plus puissants au fur et à mesure que vous progresserez dans l’intrigue, il faut par conséquent remplacer les plus anciens, moins performants. Comment ? Des magasins ? Oui, il y en a… Par contre, ils proposent une quantité très limitée de Magnus, que pour certains personnages selon les boutiques, et vous devrez attendre un certain temps avant qu’ils ne renouvèlent leurs stocks. Les récompenses des combat ? Là encore, c’est compliqué : vous ne pouvez choisir qu’une carte parmi celles que constituent le butin, ce qui est plus frustrant encore si vous avez réussi un combo spécial complexe à mettre en place. Pour finir d’enfoncer le clou, les développeurs ont eu la brillante idée de spécialiser certains personnages dans des éléments opposés : ainsi, les Magnus d’attaque de Savyna sont souvent de glace et de feu, deux éléments qui, utilisés lors d’un assaut, s’annulent mutuellement. Cette maladresse limite d’autant plus vos possibilités de deckbuilding, comme quand Gibari reçoit un puissant Magnus de feu ou de temps… alors que la majorité de son deck, finishers compris, sont de glace et de vent. Habile. Ajoutez à cela que vous n’aurez pas de Magnus avec plus d’un nombre spirituel avant une bonne quinzaine d’heures, et vous avez là un système de combat bien fichu et engageant, bien qu’un peu trop aléatoire, mais dont vous ne profiterez tout simplement pas à son plein potentiel avant d’arriver au deuxième disque de Baten Kaitos (quelle belle époque, les RPG à plusieurs disques… <3 ).
Pour continuer dans les défauts, le voice acting anglais est particulièrement médiocre, toujours à côté de la plaque, enregistré dans vos chiottes avec un micro premier prix (et heureusement désactivable). Si vous pensiez que Metal Gear Solid et Resident Evil ont les pires doublages existants, Baten Kaitos est un compétiteur très sérieux, avec ses comédiens aux fraises et sa technique amateuriste. Mention spéciale à Gibari, dont le doubleur transcende les répliques déjà pas toujours inspirées avec une patine voix de bonhomme forcée et un ton qui correspond une fois sur dix à la situation ( « Mais c’est terrible ! » dira-t-il devant un village en flammes, avec l’engagement et la passion d’un homme qui vient de manger une figue un peu molle). À côté de ça, le color-swap abusif des modèles 3D des monstres, les animations assez sommaires, et le sound design crispant par moment achèvent de donner un aspect petit budget à Baten Kaitos… Ce qui est un peu le cas, en fait.
Parce que oui, Baten Kaitos est développé par une cinquantaine de personnes sur une période d’un an et demi. À côté de ça, Final Fantasy X a un staff à rallonge et deux ans de développement, de même que Tales Of Symphonia, un concurrent plus direct, sorti la même année sur la même plate-forme. Et pourtant, le titre de Monolith Soft, avec moins de budget, moins de temps et surtout sans l’aura d’une licence bien installée chez les joueurs, n’a pas à rougir devant ces illustres rivaux, car il est une réussite sur de nombreux points, compensant largement les défauts qu’il possède. Et c’est un crève-cœur, car malgré son statut de jeu culte aujourd’hui, Les ailes éternelles et l’océan perdu s’est très peu vendu à l’époque, si peu qu’il a bien failli ne pas sortir en Europe. Mais pour tous les amateurs de RPG, genre assez rare sur GameCube, Baten Kaitos est une petite perle à ne pas manquer.
Que dire de plus ? Piloté par des pointures de Monolith Software, le petit Baten Kaitos porte bien la marque du studio : son univers est riche, original, prenant, ses personnages attachants, et ses systèmes de jeu essaient de sortir de la routine des J-RPG de l’époque. Et pourtant, malgré un certain succès critique, le jeu ne rencontrera pas son public, ou du moins, pas un public assez important pour permettre la sortie en Europe de sa suite, Baten Kaitos II : Les ailes du commencement et l’héritier des dieux, la faute à une promotion inexistante et aux faibles ventes de la GameCube. Et pourtant, pourtant, il est bien, ce Baten Kaitos, il a le charme des jeux de rôles japonais old school dans un emballage de bonnes idées et de mondes merveilleux !
Par Jean-Fulgence
Le 7 août 2023 | Catégories : Editos
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