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Les divagations scénaristiques de Masahiro Sakurai

Dans un numéro de février du magazine japonais Famitsu, Masahiro Sakurai (HAL Laboratory), créateur de Kid Icarus: Uprising (3DS) et de la série Super Smash Bros., explique que les histoires racontées dans les jeux vidéo ne correspondent pas souvent à leur contenu ou à leur gameplay. Résultat : le joueur au bout de la manette s’ennuie pendant les phases destinées à faire avancer le récit.

« En tant que joueur de longue date, les histoires racontées dans les jeux vidéo m’ennuient. Exemple : les jeux avec une introduction très longue durant laquelle on ne joue pas ou bien ceux entièrement doublés peuvent avoir un rythme complètement foutu en l’air. Je veux juste profiter du jeu ; en fait, je pense être assez intolérant sur tout ce qui va à l’encontre du plaisir. Je suis capable de profiter d’une histoire avec n’importe quel autre support ou média culturel, mais je veux qu’un jeu vidéo me laisse jouer. »

« Par exemple, prenons, dans un jeu de rôle, un personnage dont on a pris soin pendant plusieurs heures et qui finit par mourir ou quitter le groupe pour les besoins du scénario. Du point de vue du joueur, c’est terrible, c’est complètement déraisonable ! Habituellement, quand vous progressez en jeu, c’est au travers de la perspective du héros joué et on vous demande donc grosso modo d’être le vainqueur à chaque combat. Si les joueurs se retrouvent dans le pétrin juste parce que l’histoire le demande, ils sont pénalisés même s’ils ont bien joué. Sur le plan du gameplay, c’est problématique. »

Sakurai précise néanmoins qu’il réalise la nécessité, parfois, d’imposer par le scénario des obstacles au joueur. Cependant, l’équilibre du jeu doit passer avant le reste. Sakurai a d’ailleurs lui-même rédigé le script entier de Kid Icarus: Uprising afin de respecter ce principe.

« Je m’en suis chargé moi-même, ça m’a permis d’écrire une histoire qui colle au jeu, qui tire parti des points forts du gameplay. Chaque personnage, boss compris, a sa personnalité façonnée selon son rôle dans le jeu ou la structure de ce dernier. Ça me laisse développer les dialogues de sorte qu’ils correspondent solidement à l’évolution du jeu. Si quelqu’un d’autre avait écrit l’histoire, soit j’aurais dû justifier auprès de lui chaque changement apporté, soit l’alchimie entre le jeu et l’histoire aurait perdu en consistance. Particulièrement pour un jeu comme Kid Icarus, qui comprend des batailles aériennes où le gameplay, les dialogues et la musique ont besoin de vraiment former un tout cohérent, c’était vital que l’histoire et le jeu ne fassent qu’un et puissent être affinés. »

Pour Sakurai, les scénarios de jeu pourraient vraiment tirer parti des souhaits des concepteurs, et vice-versa, afin de garantir le plus possible la cohérence entre histoire et jeu. « Le scénario et le contenu d’un jeu doivent absolument correspondre. Dans un monde idéal, on devrait être capable de fournir des développements scénaristiques qu’aucun autre média ne peut offrir. »

Ce qu’on en dit entre deux binouzes

Si les questions de la narration et des propos dans les jeux vidéo sont pertinentes à une époque où les grosses productions sont capables dans ce domaine du meilleur comme du pire, elles restent évidemment vastes et mériteraient des livres. En prenant connaissance des pensées du dimanche de Sakurai, qui pour le coup ne réinvente pas la croix multidirectionnelle mais reste pertinent, on ne peut s’empêcher de penser à d’autres jeux : tout d’abord Assassin’s Creed III (2013, Wii U, PC et supports inférieurs), dont Mortal a apprécié le scénario mais aurait préféré que ce dernier soit ôté du jeu au profit d’une simulation de combat naval (astuce : il est vivement encouragé de jeter des boulets en plomb sur Mortal). Ensuite, Bastion (2011, XBLA et PC), production indépendante où la narration par une voix omniprésente sert à la fois le rythme (on joue sans temps mort) et le gameplay pour former un tout cohérent. On citerait volontiers Portal 2 (2011, PC et s.i.) ou Red Dead Redemption (2010, 360 et PS3), mais pas sur un site Nintendo sectaire, n’abusons guère.

Voyez-vous, au Dojo, on a des gens posés et calmes, et d’autres un petit peu plus excités. Mortal, par exemple, dont les facultés de compréhension de la langue française sont relativement limitées, n’a même pas joué à la démo d’Epic Mickey (2012) sur 3DS pour cette raison : au bout de 3 minutes de cinématiques, il en a eu assez d’attendre. Monsieur Spector, on ne frustre pas un Mortal en le prenant par la main et en lui disant « tiens, regarde, c’est le scénar’, faut le faire avancer maintenant » avec un panneau lumineux et des grosses flèches rouges. Si on lui demandait de résumer le scénario de Kid Icarus: Uprising maintenant qu’il l’a fini, Mortal en serait pratiquement incapable et gémirait probablement « méchant boum boum gagné ». En ce sens, lier la narration à l’action a du bon mais il est tout de même bien difficile de focaliser l’attention du joueur (monotâche et amoindri) sur le scénario durant les phases de jeu, surtout en plein milieu d’un combat contre un boss, comme dans Kid Icarus: Uprising.

Pour un joueur normalement constitué qui l’a bouclé, les potins de comptoir de Sakurai (on va l’inviter au Dojobar) résonnent de manière cohérente : le jeu est bavard mais on ne s’ennuie pas car il ne s’arrête quasiment jamais, même lorsque les personnages discutent. À l’inverse de la plupart des jeux, qui imposent une introduction relativement longue suivie d’un tutoriel, le début de l’histoire de Kid Icarus: Uprising est expliqué en même temps que le tutoriel, pendant la première mission. Cette alchimie, construite avec talent, satisfait tout le monde (sauf les fans de cinématiques). Masahiro Sakurai essaie de créer une narration propre au jeu vidéo alors que les autres s’inspirent surtout du cinéma pour raconter leurs histoires.

Évidemment, les propos de Sakurai peuvent aussi faire ressurgir de douloureux souvenirs, notamment chez Mecton. Lorsqu’il voulut faire découvrir la version DS de Final Fantasy: Crystal Chronicles (2008) à son petit cousin de neuf ans, ce dernier, intrigué, demanda « ça se joue comment ? faut juste regarder et lire ? ». Si cette interrogation consternante d’un môme de neuf ans vous fait immédiatement penser au « méchant boum boum gagné » de Mortal, c’est normal : ce dernier est le petit cousin de Mecton. On soupçonne également les enfants de Miyamoto de ne pas être plus doués (Mortal, c’est Shigeru ton papa ?) étant donné qu’il réduit systématiquement les histoires de ses jeux au strict minimum pour se focaliser sur le gameplay. Si Sakurai, qui parvient à conserver la touche Nintendo tout en travaillant le scénario, pouvait apprendre au papa de Mario qu’on peut habilement faire du Nintendo et raconter des histoires plus complexes que « délivrer gourde-de-princesse encore-kidnappée », on se farcirait autre chose que la monocorde Monita comme narratrice dans Nintendo Land (2012, Wii U). Enfin, à condition que Mortal puisse suivre l’histoire…

Pour l’anecdote, récemment, Ubisoft a ouvert à Montréal un département dédié à la narration, dont la tâche est de rendre meilleure l’histoire des jeux. Alice, nom donné en 2011 au studio de motion capture, puis dernièrement au groupe constitué de scénaristes, d’acteurs, d’ingénieurs du son, de spécialistes de la capture de mouvements…, verra son premier « vrai » apport se faire sentir dans Watch Dogs (Wii U, PS 4, PC et s.i.). Il est loin, le temps où le scénario n’était intéressant que dans les point and click (Monkey Island, Another Code) et dans certains jeux de rôle…

Sources : Polygon, Mortal, Mecton, Gueseuch et un sacré tonneau de bibine.


Par meduz'
Le 8 avril 2013 | Catégories : Editos

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