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L’intransigeant Yamauchi, vu par Henk Rogers
Cet article fascinant (vraiment, vous verrez en lisant) sur Hiroshi Yamauchi est traduit de Remembering My Friend, Hiroshi Yamauchi (Me rappeler de mon ami, Hiroshi Yamauchi), publié sur Wired le 1er octobre 2013 par Henk Rogers, fondateur de The Tetris Company. Bien que la perception forcément subjective de Rogers sur sa relation avec papi Yamauchi puisse être sujette à discussion, les éléments biographiques présentés permettent de cerner une facette intéressante de l’homme qui a présidé Nintendo de 1949 à 2002, mais aussi d’en apprendre plus sur de petites parties de l’histoire de Nintendo (et du jeu vidéo en général).
Note : en se documentant sur tout ce dont parle l’article, on peut notamment tomber sur une traduction plus « romancée » de la relation entre Yamauchi et Rogers, et moins proche du récit original (en moins élégant : des imprécisions et erreurs biaisent la compréhension). Si tu préfères avoir une version plus fidèle, documentée et polluée avec plein de n.d.t. (notes de traduction), tu es au bon endroit. On salue toutefois la réactivité de cette tentative du dimanche.
Hiroshi Yamauchi, ancien président visionnaire de Nintendo, est décédé le 19 septembre 2013 à l’âge de 85 ans. Discret, il est rarement apparu en public et n’a autorisé que peu d’entrevues. Une des rares personnes qui pouvaient affirmer avoir été proches de lui est Henk Rogers, un pionnier de l’industrie du jeu s’étant expatrié au Japon à la fin des années 70 et ayant créé Bullet-Proof Software, studio de développement et maison d’édition (note de traduction : on leur doit notamment Yoshi’s Cookie sur Super NES ; la boîte se nomme maintenant Blue Planet Software). Rogers, qui gère maintenant The Tetris Company, revient sur ce qui allait devenir une longue amitié avec Yamauchi.
Un jour, vers 1985, ma femme me montre un article d’un magazine japonais dans lequel il est écrit que le président de Nintendo, Hiroshi Yamauchi, est un joueur de Go (un jeu de société japonais). Coïncidence, il se trouve que quelqu’un m’avait envoyé un jeu de Go pour Commodore 64. Cette machine avait le même processeur que la Famicom (NES), un 6502 (n.d.t. : le 6502 de MOS technology, décliné par Ricoh pour la NES et décliné en 6510 par MOS Technology pour le Commodore 64 ; il a aussi été décliné pour l’Atari 2600 et la PC Engine).
J’ai alors envoyé un fax à Monsieur Yamauchi le mardi pour lui dire que je pouvais créer un jeu de Go pour la Famicom et que je souhaitais le rencontrer avant de rentrer aux États-Unis le samedi.
Le mercredi, je recevais une réponse : M. Yamauchi voulait me rencontrer le lendemain. Nintendo avait refusé aux grandes boîtes qui faisaient du jeu sur PC, y compris Squaresoft, Enix et mon entreprise (Bullet-Proof Software), de faire des jeux pour Nintendo. Malgré cela, j’ai pu obtenir une audience avec l’homme en personne.
« Je ne peux pas vous donner de programmeurs », m’a dit Yamauchi.
« Je n’ai pas besoin de programmeurs », lui ai-je répondu. « J’ai besoin d’argent. »
« Combien ? »
J’ai annoncé « 30 000 000 ¥ » (n.d.t. : environ 120 000 $ ou 1 100 000 FF au taux de change de l’époque ou encore 300 000 € avec l’inflation française entre 1985 et 2013). C’est le plus gros montant auquel j’ai pu songer sur le vif. Il s’est penché sur la table, m’a serré la main et l’accord était conclu. C’était aussi rapide que cela. Monsieur Yamauchi ne tournait jamais autour du pot. Il prenait ses décisions rapidement, et ne revenait jamais sur ses choix.
Neuf mois plus tard, j’étais prêt. J’avais retrouvé en Angleterre le programmeur du Go sur Commodore 64 et je l’avais convaincu de venir au Japon pour travailler sur le projet. On a ajouté une interface attirante, avec de petits ninjas qui bougent sur les pierres du jeu de Go (n.d.t. : les pierres sont les pions du jeu de Go) pour amuser les clients de Nintendo.
Yamauchi a joué au jeu (n.d.t.: 囲碁 九路盤対局, ou Igo: Kyū Roban Taikyoku, 1987) un jour. Ou bien devrais-je dire « a indiqué à son subalterne, qui tenait la manette pour lui, les déplacements qu’il souhaitait effectuer ». Yamauchi n’avait jamais tenu une manette Nintendo en main avant.
Il a battu facilement le programme et dit que ce dernier n’était pas assez balaise pour Nintendo. Miraculeusement, ce jour-là allait changer son esprit. À la fin, j’ai demandé si je pouvais sortir le jeu. Il m’a répondu : « Et mon argent ? »
« Je vous donnerai 100 ¥ pour chaque exemplaire vendu. » Une fois de plus, il m’a serré la main. Je venais juste de devenir un éditeur Nintendo.
(N.d.t. : 100 ¥ faisaient environ 3,75 FF ou 0,6 € à l’époque, ou 1 € en considérant l’inflation en France entre 1985 et 2013. Selon RetroGamerz, le jeu était lancé au prix de 5 500 ¥ (200 FF ou 33 € à l’époque, 55 € avec l’inflation française. Vu que Yamauchi avait investi 30 millions de yens, il fallait de toutes façons vendre 300 000 exemplaires du jeu pour rentrer à peu près dans les frais, ce qui correspondait environ à un possesseur de NES japonaise sur soixante-cinq. Impossible de mettre la main sur l’état des ventes de ce jeu.)
J’ai ensuite eu plusieurs rendez-vous avec Yamauchi après cela. Je les programmais toujours pour la fin de sa journée, ça nous permettait de jouer au Go par la suite. Pendant nos rencontres professionnels, il y avait toujours des subalternes, mais lorsque nous jouions au Go, nous étions juste lui et moi.
J’étais peut-être la seule personne du secteur vidéoludique qui avait une relation d’homme à homme avec Yamauchi. Chez Nintendo, tout le monde me considérait comme un dignitaire étranger. J’avais les mêmes faveurs que les éditeurs japonais, ce qui me permettait par exemple de sortir un jeu pour Noël alors que la date de soumission à Nintendo pour la validation était dépassée. J’appréciais Yamauchi. Il m’appréciait. Nous étions amis.
J’ai conclu plusieurs accords avec Nintendo, certains avec Yamauchi, d’autres avec le président de Nintendo of America (n.d.t. : Minoru Arakawa, à l’époque). J’ai publié Tetris sur Famicom au Japon et ai ensuite porté le jeu sur Game Boy. Certaines personnes disent que Tetris a fait le succès du Game Boy, d’autres que c’est le Game Boy qui a fait connaître Tetris. Je pense que tout cela est vrai, et ce partenariat a résolument ancré la relation entre nos deux entreprises.
Un de mes souvenirs favoris avec Yamauchi s’est passé à bord d’un avion. J’étais moniteur de vol à la Northwest Airlines (n.d.t. : qui a depuis fusionné avec la Delta Air Lines) et me rendais à Seattle pour ensuite rejoindre ma filiale de Redmond. Les rideaux de la première classe se sont ouverts, et Yamauchi est entré. J’ignorais complètement qu’il se trouvait dans le même avion que moi. En avançant, il a fait une blague sur le service à la ramasse : il a renommé la compagnie « Northworst Airlines » (n.d.t. : worst signifie le pire). On a ri. Il avait le sens de l’humour.
Un jour, plus tard dans les années 80, la personne à la tête d’Epyx (n.d.t. : un éditeur quelconque des années 80, connu entre autres pour California Games sur NES et MD), m’appelle pour me dire qu’il était sur le point de vendre à Sega (n.d.t. : un petit éditeur de seconde zone basé au Japon) son concept de console portable en couleur. Il se demandait s’il ne devait pas le montrer à Nintendo en premier. Je n’en ai pas dormi pendant trois jours. J’ai organisé la rencontre entre Epyx, Nintendo of America et la maison-mère japonaise de Nintendo.
J’ai rencontré l’équipe d’Epyx à l’aéroport d’Osaka, puis ai pris connaissance des spécifications techniques de la console dans la limousine vers les bureaux de Nintendo à Kyōto. Yamauchi ne voulait pas signer de contrat de non-divulgation. Epyx a cédé et nous lui avons tout de même montré la machine. Après environ une demie-heure d’explication, Yamauchi a dit « non ».
Je lui ai demandé pourquoi. Il a dit « le prix et la durée de vie de la batterie. » J’ai dit que Nintendo pourrait réduire les coûts en revoyant quelques-uns des composants et qu’il était possible d’envisager des batteries (n.d.t. : ou plutôt des piles) rechargeables. Mais une fois que Yamauchi refusait, il ne changeait jamais d’avis. Epyx a fini par vendre la console à Atari, qui l’a apelée la Lynx.
Des années plus tard, Sony et Nintendo était supposés travailler ensemble. Sony était sur le point de concevoir un lecteur de CD pour la Super Famicom. Ils avaient un contrat, mais quelque chose s’est mal passé. Nintendo a coupé toute relation avec Sony. Les ingénieurs de Sony, qui se sont retrouvés dans la mouise, m’ont demandé si je pouvais découvrir ce qui coinçait.
Entre deux parties de Go, j’ai parlé à Yamauchi de la situation avec Sony. Selon le contrat, Sony pourrait fabriquer et vendre des jeux sur support CD sans passer par Nintendo, qui voulait le monopole sur la fabrication de jeux pour sa console. J’ai dit chez Sony que le souci ne pourrait pas s’arranger. Ils ont alors décidé de sortir leur propre console et de l’appeler StationDeJeu PlayStation.
Yamauchi était la personne la plus intransigeante que j’ai jamais rencontrée. Il a dirigé Nintendo comme il jouait au Go, sans jamais rien concéder. J’ai vite réalisé que, malgré notre amitié, il ne me concéderait jamais rien. Je devais obtenir ce que je voulais par moi-même, et j’avais alors son respect. C’était sa manière de faire.
À la fin, Yamauchi était devenu plus solitaire. J’ai cessé d’être un éditeur Nintendo et ne l’ai plus revu durant les dix dernières années de sa vie. En fait, je ne suis pas certain que grand monde le voyait en dehors de sa famille et du personnel de santé qui l’entourait. J’espérais l’apercevoir aux mariages de ses deux petites-filles, mais il ne prenait déjà plus l’avion pour « raisons de santé ».
J’aurais souhaité pouvoir le revoir une dernière fois. C’était mon mentor, même si je savais que je n’atteindrais jamais son niveau. Il n’y aura jamais d’autre Yamauchi dans l’industrie du jeu vidéo.
Au revoir, Monsieur Yamauchi. Vous serez toujours mon ami.
Henk Rogers
Je suis en train de nettoyer les toilettes du Dojobar, un mec bourré en a mis partout !Voir les articles de meduz'
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