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RenderWare, le moteur qui a défini une génération
Sans vous en rendre compte, vous l’avez déjà vu. Sans le savoir, vous avez déjà mis les doigts dessus. Le moteur de jeu RenderWare était, en sous-main, dans un très grand nombre de jeux des années 2000.
Aujourd’hui, nous allons lui rendre une sorte d’hommage et tenter de vous montrer à quel point il a été, quelques années avant l’Unreal Engine, un pilier méconnu de toute l’industrie du jeu vidéo.
Avant la fin des années 1990, on ne parle pas vraiment de moteur de jeu. Le concept n’existe pas encore tout-à-fait, même si, on le verra plus loin, on commence à en voir les prémices. En fait, c’est quoi exactement un moteur de jeu ? Et bien c’est un ensemble d’outils plus ou moins complet permettant de créer un jeu sans recommencer à zéro à chaque fois.
Au début de l’ère des consoles 3D (PlayStation, Saturn et N64), la complexité de l’approche 3D par rapport à l’approche 2D et la complexité de ces nouvelles machines forcent les développeurs à construire des bibliothèques logicielles (des sortes de grosses boîtes à outils) pour se simplifier la vie lors de la création d’un jeu. On ne parle pas encore de moteur de jeu, parce que c’est généralement plus une collection de fonctions, d’outils ou de bouts de code permettant d’accomplir telle ou telle tâche plus facilement ou plus simplement de ne pas réinventer la roue à chaque nouveau jeu. Ces bibliothèques sont généralement purement internes, éventuellement partagées avec des studios partenaires du même éditeur, mais cela va rarement plus loin.
Il commence évidemment à y avoir des exemples de bibliothèques commerciales, on pensera notamment à MusyX de Factor 5 pour gérer tout ce qui est musique et effets sonores sur N64, mais cela reste finalement assez marginal.
Ce qui permet également de se souvenir que les trois bestioles de l’époque sont aussi radicalement différentes : un outil était généralement écrit pour une console spécifique et rarement porté sur une autre. Les bibliothèques sont donc généralement spécialisées, optimisées pour tirer un maximum de performance d’un hardware capricieux.
Si sur console, la situation n’est déjà pas brillante (3 machines, 3 architectures divergentes), la situation sur PC entre 1994 et 1997 est encore bien pire. Poussés par le succès de la 3D sur consoles de salon, les ordinateurs vont devoir s’y mettre et ce ne sera pas sans souffrance. Le nouveau périphérique à la mode devient la carte accélératrice 3D, qui permet de soulager le processeur principal des calculs 3D, d’augmenter la résolution et/ou le framerate, etc. par rapport à ce qu’est capable de faire le CPU seul. On rappellera également que les fondeurs (Intel et AMD en tête), pensaient au départ sincèrement que les calculs 3D allaient revenir sur les processeurs (d’où les appellations 3DNow! ou MMX qu’on a vu fleurir sur les Pentium et K6 de l’époque). Bref, la carte 3D commence à arriver, non sans heurts.
Parce qu’il n’existe à ce moment là pas vraiment de norme, en tout cas pour le jeu vidéo, chaque fabriquant de cartes accélératrices a son propre pilote, spécifique à ces propres cartes et bien évidemment incompatibles (en partie tout du moins) avec les autres. Pour mémoire la version PC de Tomb Raider par exemple supportait pas moins de 7 pilotes de cartes 3D différentes :
Bref, c’est la jungle complète et cela oblige les développeurs à réécrire une partie de leur code pour chacun de ces drivers. Même si des APIs génériques existent déjà (OpenGL et Direct3D via DirectX), elles ne sont pas encore supportées par toutes les cartes et cette période de 3D balbutiante fait qu’utiliser un pilote générique bouffe énormément de performance des cartes en question (quand t’as mis 1 000 francs dans une carte graphique pour aller avec ton Pentium tout neuf, t’as envie que ça envoie un minimum !).
C’est du côté de chez id Software avec Doom qu’il faut chercher l’origine au moins de l’appellation moteur de jeu. Vu le succès énorme de son FPS et l’avance technologique assez folle qu’il avait pour 1993, sans compter sa souplesse et son code plutôt très propre, id Software a très rapidement vu l’intérêt de vendre des licences du moteur de Doom à d’autres studios. On obtiendra ainsi Hexen ou encore Heretic.
Mais forcément avec la 3D, la quantité d’effort pour produire un moteur va rapidement grimper. Et donc la bande à Carmack va aussi vendre les moteurs de Quake et Quake 2 à des tiers (produisant Heretic II, SiN, Soldier of Fortune côté jeu et bien d’autres moteurs qui sont les enfants de Quake comme par exemple Source Engine d’Half-Life). On n’est pas encore au cœur du business model, l’essentiel à l’époque reste de produire des jeux, jusqu’à l’arrivée de l’Unreal Engine en 1998 pour le jeu Unreal par Epic Games.
Développé depuis 1995, Epic Games se rend très vite compte du potentiel de ces outils et, à la fin 1999, près de 16 projets différents (incluant Duke Nukem Forever) utilisent l’Unreal Engine. La suite on la connaît pour Epic…
La situation sur console va prendre un tournant radical avec la PS2. Réputée pour être particulièrement difficile à dompter et avec une architecture encore une fois radicalement différente de ce qui se fait sur PC ou de ce qui se faisait sur la génération précédente, pas mal de monde a dû s’arracher les cheveux sur la machine de Sony à ce moment-là. L’approche toolbox commence à trouver ses limites, surtout quand on veut commencer à extraire le plus de performance possible de la machine.
Mais pourquoi continuer cette approche quand il existe une alternative plutôt efficace qui en plus permet de porter ces jeux sur les futures Xbox et GameCube qui pointent le bout de leur nez en 2001 ?
Criterion Software est fondé en 1993 et est alors une filiale à 100% de Canon (oui le fabricant d’imprimantes). Son objectif est de produire des outils multimédia pour la maison mère, notamment pour la manipulation et le rendu d’images 3D. RenderWare commence donc sa vie comme un outil professionnel, vendu par Canon. Distribuée avec les exemples de code, il y a une toute petite démo de jeu, CyberStreet :
C’est cette petite démo, et le fait que beaucoup de sociétés se lancent dans le JV à cette période, qui amènera Criterion Software à créer une division jeux vidéo en 1995, Criterion Games. Les trois premiers jeux à utiliser l’outil RenderWare sortiront exclusivement sur PC entre 1996 et 1997, avec un succès mitigé : Scorched Planet, Speedboat Attack et Sub Culture. Criterion Software continue de faire évoluer les outils RenderWare en parallèle pour le transformer en véritable moteur de jeu et va commencer à porter l’ensemble sur Dreamcast.
Ainsi les trois jeux suivants (Redline Racer, TrickStyle et Deep Fighter) du studio sortiront sur Dreamcast et PC entre 1998 et 2000. Si le premier est édité par Ubisoft, les suivants entament une relation durable entre Criterion et Acclaim Entertainment qui se chargera de les publier. Et la même année, toujours édité par Acclaim, mais développé par Z-Axis, sort le tout premier jeu RenderWare où Criterion n’est pas impliqué : Dave Mirra Freestyle BMX (les versions Dreamcast et PC au moins).
Pour développer Burnout (qui sortira fin 2001 sur PS2 et début de l’année suivante sur GameCube et Xbox), Criterion continue de peaufiner RenderWare jusqu’au point, fin 2000 pour la version 3, où l’on peut le considérer comme un véritable moteur de jeu.
À partir de là, les grands noms commencent à s’enchaîner.
DMA Design (futur Rockstar North) choisit RenderWare plutôt que ses outils maisons pour Grand Theft Auto III (excusez du peu !). Konami choisira RenderWare pour Pro Evolution Soccer la même année. La version PS2 de Rayman 2 et Rayman M va également s’appuyer sur RenderWare. Activision et Neversoft utilisent le moteur pour les versions next gen de Tony Hawk’s Pro Skater 3 (GameCube, Xbox et PS2). Basiquement, pour arriver à produire sur PS2, puis sur les autres machines, tout le monde réalise le potentiel du petit moteur hyper versatile de Criterion Software. Si bien que certains dans l’industrie commence à appeler RenderWare le « DirectX de Sony ».
Et les jeux vont continuer à s’enchaîner sur cette génération de machine, on pourra citer en vrac pour 2002 : Burnout 2 par Acclaim, GTA: Vice City et Max Payne 2 (version console) par Rockstar ou encore Mortal Kombat : Deadly Alliance par Midway. Même SEGA commence à s’intéresser à RenderWare avec Sonic Heroes en 2003, puis avec Shadow The Hedgehog en 2005.
Call of Duty: Finest Hour, le tout premier Call of Duty sorti sur console de salon utilisera également RenderWare en lieu et place du moteur de Quake 3 utilisé sur PC (et sur les itérations suivantes de la franchise, y compris sur console). Electronic Arts commence aussi à faire un usage commercial du moteur en 2004 avec Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban. Alors, ça n’a l’air de rien comme ça, mais c’est quand même un jeu qui se vend à l’époque par bateau entier et qui utilise en sous-main RenderWare. Et ce sera aussi le cas de tous les opus suivants sur cette même génération. Toujours chez EA, le porte-drapeau du FPS, à savoir Battlefield, sera porté sur console avec Battlefield 2 : Modern Combat toujours grâce à RenderWare.
Il y aura même le mythique Killer 7 chez Capcom.
On pourrait continuer pendant longtemps cet étalage, mais notez ceci : Konami, Electronic Arts, Activision, Midway, Acclaim, SEGA, Rockstar, Ubisoft, Capcom, ça commence à faire sacrément du monde qui utilise le petit moteur fait par Criterion Software. Et pour faire un peu tout et n’importe quoi : sport, stratégie, FPS, course, etc. Au plus fort de son succès, RenderWare représentait 70% de parts de marché pour les studios choisissant d’acheter un moteur de jeu plutôt que d’en faire un.
Ça ne pouvait évidemment pas durer éternellement…
En 2004, Electronic Arts rachète Criterion Software et toutes ses licences à Canon qui n’a pas vraiment d’intérêt dans le jeu vidéo. Cela va provoquer un très grand malaise dans toute l’industrie, comme vous pouvez vous en douter : un redoutable concurrent, et gigantesque par dessus le marché, a la mainmise sur LA technologie qui fait tourner de nombreux studios.
Electronic Arts continuera d’honorer les contrats de support de RenderWare mais le moteur lui-même va se retrouver dilué dans les dizaines de technologies qu’EA possède. Même s’il perd très largement des parts de marché, il sera encore utilisé quelques fois sur la génération suivante avec Crackdown par Microsoft Studios puis par Criterion Games lui-même une dernière fois en 2008 avec Burnout : Paradise.
À partir de là, RenderWare sera progressivement abandonné, ne donnant a priori pas de bons résultats en terme de qualité ou de performance sur la génération Xbox 360/PS3, dixit Bing Gordon, chef de la créativité chez EA à l’époque. Il sera encore utilisé quelques temps sur Wii (dans le Alone in the Dark de 2008) et on peut supposer que tous les portages HD des jeux RenderWare utilisent toujours cette technologie, au moins partiellement (on pense à Burnout Paradise qui est sorti sur Switch ou encore The Legend of Kay sur WiiU).
Oui, ce n’est pas l’Unreal Engine, le Frostbyte Engine, Unity ou encore l’id Tech, mais pendant une courte période de temps, RenderWare fut un pan très important de l’industrie et il n’y a aucun doute que vous avez tâté de ce moteur au cours de vos sessions de jeu courant des années 2000. Si Criterion Games n’avait pas été racheté, qui sait, peut-être serait-ce encore un concurrent à ces confrères contemporains…
Différents rendus de Tomb Raider
L’interface de MusyX
Différentes captures de RenderWare 3
Par Mortal
Le 9 mars 2024 | Catégories : Editos
Je le couperai au montage…Voir les articles de Mortal
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